Depuis près de six ans, Zoé Karadi évolue au sein de MPC, où elle a su se faire une place en tant que Production Manager. Avec un parcours international qui l’a menée de Vancouver à Paris, en passant par Montréal, Zoé a collaboré sur des projets d’envergure tels que Detective Pikachu, Spaceman et Murder Mystery 2.
Tout au long de sa carrière, elle a relevé des défis techniques de taille, supervisé des équipes à travers différents continents, et contribué à des films mêlant poésie visuelle et complexité technique. Son engagement, son sens du détail et son esprit d’équipe font d’elle une figure clé de la production VFX. Dans cette interview, Zoé nous raconte son parcours, partage les leçons qu’elle a tirées de ses expériences, et nous ouvre les portes d’un univers fascinant où technologie et créativité ne font qu’un.
- Quel a été ton parcours pour en arriver à ton métier ?
J’ai fait mes études au Canada, à la Vancouver Film School (VFS), avant de commencer sur les plateaux de séries américaines comme Supergirl et The Flash. Je voulais essayer plusieurs branches pour me faire une idée de ce qui me plairait. Comme plusieurs de mes amis travaillaient en VFX à l’époque, ils m’ont convaincue de postuler à MPC. J’ai commencé comme runner, un poste où nous étions très impliqués dans la vie du studio, avant de devenir assistante de production sur A Wrinkle in Time, puis coordinatrice sur Détective Pikachu.
J’ai décidé de quitter MPC après Pikachu pour en apprendre davantage sur le monde de l’animation, et j’ai rejoint On Animation à Montréal. Ce fut un gros coup de chance, car un mois après, tout fermait à cause de la pandémie. Nous avons pu continuer à travailler, alors que beaucoup de studios de VFX réduisaient leurs effectifs à travers le Canada.
Je suis finalement revenue à MPC Montréal en 2021 pour Spaceman, projet sur lequel je suis devenue production manager. En 2022, j’ai à nouveau décidé de changer d’environnement et de rentrer en France pour découvrir le monde des VFX de ce côté-ci de l’Atlantique.
- En quoi consiste ton métier ?
Dans les grandes lignes, mon métier consiste à travailler avec le ou la producteur·rice pour faire en sorte que le projet soit livré dans les délais et le budget alloués, tout en maintenant le niveau de qualité pour lequel nous sommes reconnus dans l’industrie. Et cela, dans les meilleures conditions internes possibles.
De manière plus précise, cela consiste dans un premier temps à planifier et prévoir une stratégie de livraison avec les producteur·rice·s et superviseur·e·s. Cette stratégie est ensuite ajustée au fur et à mesure du déroulement du projet, en fonction des changements de montage, des briefs et des demandes des clients.
Une fois la production lancée, je m’assure du bon déroulement interne du projet en travaillant avec l’équipe de coordination et de supervision. Notre objectif est de respecter au mieux le planning de livraison, tout en l’ajustant si nécessaire en fonction de la marge de manœuvre disponible. Avec l’équipe de coordination, nous veillons à une bonne organisation des journées entre réunions et dailies, et faisons en sorte que toutes les informations nécessaires soient bien partagées. Nous restons disponibles pour les équipes si besoin.
Je suis également là pour aider les producteur·rice·s dans leurs échanges avec les clients, à travers la création de rapports ou le suivi des demandes, par exemple.
Le tout est un gros travail d’équipe entre superviseur·e·s, coordinateur·rice·s et graphistes. On ne peut pas tout prévoir, mais on fait de notre mieux pour anticiper et réagir de manière appropriée le moment venu !
Focus La Nonne 2
- Quelles sont les étapes sur lesquelles tu es intervenue sur ce projet ?
J’ai rejoint La Nonne 2 au début de la production et m’occupais principalement du suivi des équipes internes et de la planification du projet avec Estelle, productrice sur le projet.
Le challenge est venu d’un certain nombre de plans techniquement complexes, ce qui rendait la planification à long terme assez compliquée. Il a fallu rester flexible et réactif tout au long du projet. Heureusement, les échanges entre motion, FX, light et comp étaient très efficaces. Cela nous a permis de créer notamment la séquence du stand de journaux, qui reste à ce jour un plaisir à voir.
Côté production, La Nonne 2 a été un projet idéal pour développer nos méthodes de travail dans Shotgun. Le projet, de taille moyenne, nécessitait l’intervention de plusieurs départements sur la majorité des plans. Par ailleurs, nos clients américains étaient très rigoureux et demandaient des rapports détaillés sur l’avancée du projet et les étapes de livraison pour chaque plan. Nous avons mis en place des outils qui ont ensuite servi sur de plus gros projets, notamment :
-Les milestones (un type de tâches permettant de prévoir les étapes de livraison d’un plan).
– La généralisation de la planification dans Gantt (une interface dans Shotgun rendant l’horaire plus visuel).
Focus Spaceman
- Quelles sont les étapes sur lesquelles tu es intervenue sur ce projet ?
J’ai commencé sur Spaceman en tant que coordinatrice avant de devenir rapidement production manager. Ce projet était un défi pour plusieurs raisons : c’était mon premier rôle en tant que production manager, avec une équipe de 9 assistants et coordinateurs à superviser. Nous n’étions pas encore sortis d’une pandémie qui avait réduit le nombre de graphistes disponibles au Canada. Enfin, c’était un projet de grande envergure : plus de 800 plans, la plupart contenant de la CG, et nous étions le seul studio VFX engagé sur le projet.
Les deux gros défis étaient l’animation de l’araignée géante Hanus et la création du Chopra, un mystérieux nuage violet clé du film :
- L’araignée géante Hanus : Elle devait paraître réelle, en apesanteur, tout en respectant le message méditatif du film. Il fallait trouver un juste équilibre entre son innocence et sa sagesse millénaire. Brett Purmal (superviseur d’animation) a réussi à donner à Hanus une subtilité qui la rend attachante malgré son apparence imposante.
- Le Chopra : Ce nuage violet, présent tout au long du film, était essentiel. C’était l’élément clé de l’intrigue et son aspect visuel devait refléter cette importance. Il était particulièrement complexe à concevoir, notamment dans la séquence finale où il mène à une chambre regroupant “tous les sons de l’univers”.
- Quel est le projet MPC sur lequel tu as travaillé et dont tu es la plus fière ?
Si je dois en choisir un, ce serait Détective Pikachu. C’était un gros projet, comptant 860 plans, dont un grand nombre animés, et plusieurs séquences entièrement en CG : l’effondrement d’une forêt sur le dos d’un Torterra géant, des plans de foules mélangeant humains et Pokémon, ou encore la destruction de Rhyme City, construite entièrement en CG.
Nous avions des équipes à Vancouver, Montréal, Londres et Bangalore, et des clients à Los Angeles, ce qui compliquait énormément l’organisation des reviews à cause des différents fuseaux horaires. Ce projet m’a permis de participer à des discussions créatives passionnantes, où l’on cherchait à imaginer : À quoi ressemble un Pokémon dans le monde réel ? Comment le rendre crédible tout en préservant son charme fantastique ?
C’était aussi mon premier projet avec une équipe incroyable, composée entre autres de Pete Dionne, Cecilia Marin, Skye Radies et Bryan Litson, avec qui j’ai ensuite travaillé sur Spaceman.
- Quel est le point culminant de ta carrière aujourd’hui ?
Pour moi, Spaceman était un sommet important. Ce projet représentait un vrai défi dans un nouveau rôle, mais nous avons réussi à créer un film poétique et introspectif, avec des images magnifiques dont je suis très fière.
Je pense toutefois que mon point culminant est l’endroit où je me trouve aujourd’hui : avoir exploré plusieurs univers et travaillé dans différents pays (Vancouver, Montréal, Paris). Chaque expérience m’a enrichie et je garde toujours quelque chose des projets auxquels j’ai contribué.
- Quel est le projet ou le plan le plus “challengeant” de ta carrière ?
Chaque projet a ses défis. Pour Murder Mystery 2, le projet était déjà très avancé lorsque je l’ai rejoint. J’arrivais tout juste à Paris et il a fallu que je me familiarise avec des méthodes de travail qui étaient assez différentes de ce dont j’avais l’habitude. Réapprendre des actions autrefois familières (comme envoyer des briefs à nos équipes indiennes), ou s’habituer à une nouvelle utilisation d’un outil qu’on utilisait beaucoup avant (Shotgun). Au début, tout semblait un peu désaxé.
Il a fallu que je change ma manière de percevoir les différentes étapes de création (quand est-ce qu’on valide les étapes d’un plan lorsqu’il est fait par un généraliste ? Et d’ailleurs, ça marche comment l’intermittence ?). Mais au fil du temps, je m’y suis faite.
Par ailleurs, certains plans du projet bloquaient et ont demandé l’intervention de plusieurs personnes pour identifier ce qui ne marchait pas. Situation qui n’est pas toujours évidente à gérer : trop de directions peuvent vite faire stagner un plan, et les équipes fatiguaient après presque un an de production. Je pense que le fait que l’équipe avait l’habitude de travailler ensemble a beaucoup aidé. Après plusieurs essais et un retour à une phase de concept, le projet a pu être livré.
- Qui t’inspire ?
Difficile de ne pas nommer tout le monde… Les équipes m’inspirent énormément. Je suis toujours impressionnée et un peu grisée par l’énergie et le temps donné à chaque projet. Que ce soient les graphistes, coordinateur.rice.s, superviseur.e.s, IOs ou équipes studio… On se rend difficilement compte du nombre d’heures de travail qui peuvent être nécessaires pour seulement quelques secondes à l’écran.
Pour ne mentionner que quelques personnes :
- Skye Radies, une de mes premières productrices, qui m’a très fortement marquée par son énergie, sa rigueur et sa prestance.
- Dominique Loubier, qui a révolutionné ma vision de ce métier en me montrant la valeur du travail que l’on fait en production. Parce qu’on ne crée pas d’images, notre rôle est souvent vu comme étant secondaire, alors qu’il est essentiel pour tenir sur le long terme.
- Estelle Matranga, pour son soutien et ses conseils lorsque je suis arrivée à Paris. On a un parcours un peu similaire ayant toutes les deux travaillé au Canada… Elle est en quelque sorte devenue mon phare dans un monde nouveau.
- Quel sont tes films préférés ?
J’aime beaucoup The Tree of Life de Terrence Malik. Je trouve la photo d’Emmanuel Lubezki magnifique.
Dernièrement, le pilote de la série The Bear m’a aussi beaucoup marquée, pour son rythme et sa manière de raconter très visuelle.
Merci Zoé !