Dans l’univers exigeant de la post-production et des effets visuels, le rôle du coloriste est essentiel pour donner vie aux intentions artistiques d’un projet. Florine Bel, Color Scientist chez MPC, est une experte dans la gestion des espaces colorimétriques et collabore avec des équipes créatives sur des films et séries de grande envergure. Entre technicité et créativité, elle nous partage son parcours, ses collaborations marquantes, ainsi que son travail minutieux sur des projets comme Rivages, Vermiglio, et Une Amie Dévouée. Découvrez son regard sur la colorimétrie, la gestion des workflows et les défis de ce métier passionnant.
- Depuis combien de temps travailles-tu chez MPC ?
Je travaille pour MPC VFX Londres depuis 2021, et je collabore plus globalement avec les différentes marques de Technicolor depuis deux ans, notamment sur différents sites de MPC et Mikros Animation.
- En quoi consiste ton métier ?
Je suis spécialisée dans la gestion des espaces colorimétriques des images au sein des workflows d’étalonnage et d’effets visuels. Concrètement, je dois m’assurer, avec mon équipe, que tous les artistes travaillent en visualisant correctement les images, c’est-à-dire en voyant les bonnes couleurs. Respecter “les bonnes couleurs” des images se joue à de nombreuses étapes : dès l’interprétation de l’espace colorimétrique du fichier image de travail, sa conversion dans l’espace de travail, puis sa conversion dans l’espace colorimétrique de visualisation (moniteur ou projecteur) et enfin la calibration de ces moniteurs ou projecteurs. Cela inclut également les outils utilisés pour travailler sur les images et l’encodage des fichiers à chaque étape. Mon rôle est de m’assurer que notre workflow, adapté aux spécificités du projet, ne crée pas de mauvaises conversions d’espaces colorimétriques ou de mauvaises reproductions des couleurs.
Ceci est la partie la plus technique de mon travail. Au sein de Technicolor, j’ai également l’occasion de jouer un rôle plus créatif en collaborant avec des chefs opérateurs et des étalonneurs sur la création de looks/LUTs pour des projets. C’est-à-dire qu’en amont d’un tournage, je discute avec ces professionnels pour comprendre les enjeux esthétiques du projet et créer des looks qui seront utilisés durant le tournage, les rushes et l’étalonnage, afin de donner une cohérence aux couleurs utilisées et réduire la palette à celles souhaitées.
Chez Technicolor, je travaille avec les départements des effets visuels, de la post-production DI, de l’animation, de la R&D et de la publicité. Tous ces départements abordent la gestion des espaces colorimétriques différemment, ce qui m’apprend beaucoup au quotidien.
- Quel a été ton parcours pour en arriver à ton métier ?
J’ai étudié à l’école Louis Lumière à Paris, en pensant travailler sur des plateaux de tournage dans l’équipe lumière ou caméra. Mais j’avais envie de comprendre le processus de création des images dans son ensemble, depuis le moodboard jusqu’à l’étalonnage final. J’ai réalisé mon mémoire en dialogue avec des chefs opérateurs et des étalonneurs, et notamment fait quelques mois d’observation chez Mikros Technicolor. Finalement, j’ai commencé à travailler aux laboratoires Eclair et j’ai découvert que l’univers de la post-production et de l’étalonnage me plaisait beaucoup. Chez Eclair, j’ai eu l’opportunité d’échanger avec de nombreux étalonneurs et d’imaginer des moyens d’améliorer les outils en nous appuyant sur la gestion des couleurs. De fil en aiguille, j’ai commencé à créer des looks et j’ai souhaité continuer à progresser techniquement, ce qui m’a menée jusqu’à Technicolor.
- Quel est le projet MPC sur lequel tu as travaillé et dont tu es la plus fière ?
Je suis très fière d’avoir travaillé sur la série Rivages avec Karim El Katari (étalonneur) et Xavier Dolléans (chef opérateur, AFC), car j’ai beaucoup aimé le look créé en amont du tournage. Ce sont deux collaborateurs de longue date qui m’ont beaucoup appris.
Mon travail sur la mise en place des workflows colorimétriques pour les projets MPC VFX est moins créatif, mais j’ai adoré travailler sur Gucci, Napoléon et Mufasa, car les superviseurs VFX étaient très inspirants, et découvrir les coulisses de la création de ces projets était fascinant.
- Peux-tu expliquer ton rôle sur le film Vermiglio ?
Sur Vermiglio, j’ai créé des looks/LUTs avant le tournage avec le chef opérateur Mikhail Krichman et l’étalonneuse Veronica Tiron. Ils m’ont communiqué un moodboard préparé par la réalisatrice, avec des références esthétiques majoritairement issues de peintures et d’autochromes, ce qui signifiait un souhait d’obtenir une texture marquée. Les tons étaient très doux, pastels. Le moodboard m’a beaucoup inspirée, alors j’ai préparé plusieurs traitements colorimétriques avec différentes saturations, balances de couleur et contrastes, pour s’adapter aux différents moments du film. Nous avons examiné ces propositions lors des essais caméra. Durant ces essais, il y avait du 16mm comme référence couleur et texture, ainsi que la Sony Venice qui serait la caméra utilisée pour le film. L’objectif n’était pas d’imiter fidèlement le 16mm, mais de s’inspirer des références visuelles pour trouver un look original pour le film. Nous avons affiné les looks ensemble, en ajoutant notamment des éléments de texture pour compléter l’impression globale et se rapprocher du moodboard. L’étalonneuse, qui était aussi DIT sur le projet, a pu poursuivre les recherches tout au long des rushes, et je lui envoyais parfois de nouvelles versions selon ses demandes. Ce travail approfondi sur le look a donné un caractère unique au film. Lors de l’étalonnage final, j’ai continué à échanger avec l’équipe pour affiner le rendu des couleurs.
- Peux-tu expliquer ton rôle sur la série Rivages ?
J’ai également travaillé sur la création du look pour Rivages, mais cela s’est passé différemment de Vermiglio puisque je connaissais bien le chef opérateur et l’étalonneur. Il y a toujours une phase d’échanges sur les intentions esthétiques et le moodboard, mais en connaissant mieux les goûts de Xavier et Karim, la réalisation des looks a été plus rapide. Ce sont toutefois deux personnes très exigeantes, qui poussent la finalisation des looks très loin, ne laissant rien au hasard en ce qui concerne le rendu des couleurs. Contrairement à Vermiglio, où l’équipe souhaitait accentuer les différences de saisons avec plusieurs variations de looks, pour Rivages, nous avons travaillé sur un seul look global pour toute la série, lui donnant ainsi une unité. J’ai tout de même décliné des versions pour la nuit américaine et pour harmoniser la cohérence entre la caméra principale (Sony Venice) et la caméra secondaire (BlackMagic Ursa Mini Pro 12K).
- Peux-tu expliquer ton rôle sur le projet Une Amie Dévouée ?
Une Amie Dévouée est un autre exemple de création de look. Mon expérience sur ce projet se rapproche de celle de Rivages : nous avons commencé à travailler sur un look principal avec Pierre Dejon, chef opérateur, et Ghislain Rio, étalonneur. Je pense qu’il est toujours important de définir un look principal, puis d’ajuster en fonction des besoins, par exemple pour les ambiances lumineuses comme la nuit ou une nuit américaine. Avec Pierre Dejon, nous avons poussé la déclinaison plus loin, en créant une LUT par décor principal, qui avaient pu être filmés lors des essais. Cela permet de bien préparer les LUTs pour le tournage et les rushes. Ces LUTs étaient chaque fois une variation du look principal, sans jamais le dénaturer, tout en conservant une cohérence globale pour l’ensemble de la série. J’ai beaucoup apprécié cette précision dans le travail, qui permettait de se projeter dans les décors et de comprendre leur importance émotionnelle dans la série.
- Qu’est-ce que tu dirais à un/e adolescent/e qui voudrait faire le même métier que toi ?
Je dirais que le plus important dans nos métiers est le travail d’équipe : comprendre le travail de l’autre pour collaborer au mieux et apprendre ensemble, afin de pousser les outils de création au-delà de ce qu’on imagine. Travailler dans ce domaine n’est pas facile, mais dès qu’on a l’opportunité d’apprendre de personnes plus expérimentées, il faut les écouter et chercher des projets sur lesquels expérimenter et mettre en pratique cet apprentissage.
- Qui t’inspire ?
Les personnes qui m’inspirent sont celles qui créent de manière généreuse, respectent leur équipe, poussent toujours leurs intentions et leurs goûts plus loin, se remettent en question sans jamais rester figées, et gardent une dynamique positive et réaliste. Les personnes passionnées me donnent envie d’apprendre continuellement.
- Quel est ton film préféré ?
Je ne saurais pas désigner un film préféré, mais récemment j’ai beaucoup aimé They Shot the Piano Player car ce film combine l’art de la narration, un documentaire poignant sur l’histoire de l’Amérique du Sud et les dictatures, la bossa nova et les témoignages de musiciens passionnés, ainsi que l’art de la mise en scène avec un choix pour l’animation. Ce film donne envie de créer et de s’entraider.